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2 septembre 2013

L'homme aux cercles bleus, épisode 2 !

Voici donc le deuxième épisode du feuilleton l'homme aux cercles bleus

Vous pouvez lire l'épisode 1 ici

 

On l'avait nommé commissaire à Paris, dans le 5ème arrondissement. À pied, il avançait vers son nouveau bureau, pour la douxième journée. Heureusement, c'était Paris. C'était la seule ville du pays qu'il pouvait aimer. Il avait longtemps cru que l'endroit où il vivait lui était indifférent, indifférent comme la nourriture qu'il mangeait, indifférent comme les meubles qui l'entouraient, indifférent comme lui étaient les hablts qu'il portait, donnés, hérités, trouvés on ne sait où. 

Mais finalement, pour le lieu où vivre, ce n'était pas aussi simple. Jean-Baptiste Adamsberg avait parcouru pieds nus toute la montagne pierreuse des Basses-Pyrénées. Il y avait vécu et dormi, et, plus tard, une fois flic, il avait travaillé sur des meurtres, meurtres dans des villages de pierre, meurtres dans des sentiers minéraux. Il connaissait par coeur le bruit que font les cailloux sous les pieds, et la montagne qui vous serre contre elle et vous menace comme un vieil homme musclé. Dans le commissariat où il avait débuté à vingt-cinq ans, ils disaient qu'il était "sylvestre". Peut-être en référence à la sauvagerie, à la solitude, il ne savait pas au juste. Et il ne trouvait ça ni original, ni flatteur. 

Il avait demandé pourquoi à une des jeunes inspectrices, sa supérieure directe, qu'il aurait voulu embrasser, mais qui avait dix ans de plus que lui, et qu'il n'osait pas. Elle était embarassée, elle avait dit : "Débrouillez-vous, regardez-vous dans une glace, vous comprendrez tout seul." Le soir, il avait considéré, avec dépit parce qu'il aimait les géants blancs, sa silhouette petite, solide et brune, et le lendemain, il avait dit : "Je me suis mis devant une glace, j'ai regardé, mais je n'ai pas bien compris ce que vois m'avez dit. " "Adamsberg, avait dit l'inspectrice, un peu lasse, un peu dépassée, pourquoi dire des choses de ce genre ? Pourquoi poser des questions ? On travaille sur un vol de montres, et c'est tout ce qu'il y a à savoir, et je n'ai pas l'intention de parler de votre corps." Et elle avait ajouté : "Je ne suis pas payée pour parler de votre corps". "Bon, avait dit Jean-Baptiste, ne vous énervez pas comme ça".

Une heure après, il avait entendu la machine à écrire s'arrêter et l'inspectrice qui l'appelait.  Elle était contrariée. "Finissons-en, avait-elle dit, disons que c'est le corps d'un enfant sylvestre, c'est tout." Il avait répondu : "Est-ce que vous voulez dire qu'il est primitif, qu'il est moche ?" Elle avait eu l'air encore plus dépassée. "Ne me faites pas dire que vous êtes beau, Adamsberg, mais vous avez de la grâce pour mille, arrangez-vous avec ça dans la vie.", et il y avait eu de la fatigue et de la tendresse dans sa voix, il en était certain. Si bien qu'il s'en souvenait encore avec un frisson, surtout que ça ne s'était plus jamais reproduit avec elle. il avait attendu la suite, le coeur cognnant. Peut-être allait-elle l'embrasser, peut-être, mais elle cessa de le tutoyer et elle n'en dit jamais plus. Sauf ceci, comme avec désespérance : "Et vous n'avez rien à faire dans la police, Jean-Baptiste. La police n'est pas sylvestre." 

Elle s'était trompée. Il avait débrouillé coup sur coup au cours des cinq années suivantes quatre meurtres d'une manière que ses collègues avaient trouvée hallucinante, c'est-à-dire injuste, provocante. "T'en fous pas une rame, Adamsberg, ils lui disaient. Tu es là, tu traines, tu rêves, tu contemples les murs, tu griffones des croquis sur tes genoux, comme si t'avais la science infuse et la vie devant toi, et puis un jour tu rappliques, nonchalant, gentil, et puis tu dis : -Faudrait arrêter le curé, il a étranglé le petit pour pas qu'il raconte- ." L'enfant sylvestre aux quatres meurtres était ainsi devenu inspecteur, puis commissaire, toujours griffonnant à perte d'heures de très petits dessins sur ses genoux, sur des pantalons informes. Il y a quinze jours, on lui avait proposé Paris. Il avait laissé derrière lui son bureau couvert des graffitis qu'il avait crayonnés pendant vingt ans, sans jamais que la vie ne le lasse. 

Mais pourtant comme les gens pouvaient l'ennuyer parfois ! Comme si trop souvent il savait à l'avance ce qu'il allait entendre. Et chaque fois qu'il pensait "À présent, ce type va dire ça", il s'en voulait, il se trouvait odieux, plus encore quant le type le disait effectivement. Alors il souffrait en suppliant un dieu quelquonque de lui accorder un jour la surprise et non la connaissance.

Jean-Baptiste Adamsberg tournait son café dans un bistrot en face de son nouveau commissariat. Est-ce qu'il savait mieux maintenant pourquoi on l'avait trouvé sylvestre ? Oui, il y voyait un peu plus clair là-dedans, mais les gens employaient les mots à tort et à travers. Lui surtout. Ce qui était sûr, c'est que Paris savait lui restituer le monde minéral dont il avait besoin. Paris, la ville de pierre. 

 

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