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21 octobre 2013

L'homme aux cercles bleus épisode 4

Bonjour et bon lundi à tous ! 

Après ma longue absence (imprévue) je reviens avec le feuilleton, je vous présente aujourd'hui l'épisode 4 de l'homme aux cercles bleus, un peu plus long que les autres pour me faire pardonner mon mois d'absence. Et lisez les épisodes 1, 2 et 3 si ce n'est pas déjà fait...

Et aujourd'hui, son humeur était à tourner un café, avec lenteur. Un type s'était fait tuer dans son entrepôt à tissu, trois jours plus tôt. Ses affaires semblaient si crapuleuses que trois inspecteurs dépouillaient le fichier de ses clients, certains d'y trouver l'assassin parmi eux. 

Adamsberg ne s'inquiétait pas trop pour cette affaire depuis qu'il avait vu la famille du mort. Ses inspecteurs cherchaient un client escroqué, ils avaient même une piste sérieuse, et lui, il regardait le beau-fils du mort, Patrice Vernoux, un joli type de vingt-trois ans, délicat, romantique. C'est tout ce qu'il faisait, il le regardait. Il l'avait déjà convoqué trois fois au commissairiat sous des prétextes variés, en le faisant parler de n'importe quoi : qu'est-ce qu'i pensait de la calvitie de son beau-père, est-ce que ça le dégoûtait, est-ce qu'il aimait les usines de tissus, qu'est-ce que ça lui faisait quand il y avait une grève d'électricité, comment expliquait-il que la généalogie passionne autant de gens ? 

La dernière fois, hier, ça c'était passé comme ça : 

- Est-ce que vous vous trouvez beau ? avait demandé Adamsberg. 

- Ça m'est difficile de dire non. 

- Vous avez raison. 

- Est-ce que vous pourriez me dire pourquoi je suis ici ? 

- Oui. Pour votre beau père bien sûr. Ça vous agaçait quand même qu'il couche avec votre mère, vous m'avez dit ? 

Le garçon haussait les épaules. 

- Je ne pouvais rien y faire de toute façon, sauf le tuer et je ne l'ai pas fait. Mais c'est vrai, ça me levait un peu le coeur. Mon beau-père, c'était une sorte de sanglier. Avec des poils jusque dans les oreilles, franchement, ça me dépasse. Ça vous amuserait vous ? 

- Je n'en sais rien. Un jour, j'ai vu ma mère coucher avec un camarade de classe. Pourtant la pauvre chou, elle était plutôt fidèle. J'ai refermé la porte et je me souviens que la seule chose que j'ai pensée, c'est que le garçon avait un grain de beauté vert dans le dos, mais que peut-être maman ne l'avait pas vu. 

- Je ne vois pas bien ce que j'ai à faire là-dedans, avait grondé le garçon, gêné. Si vous êtes plus brave que moi, c'est votre affaire. 

- Non, mais ce n'est pas grave. Votre mère, est-ce que vous la trouvez triste ? 

- Évidemment. 

- Bon. C'est très bien. N'allez pas trop la voir. 

Et puis il avait dit au garçon de partir. 

 

Adamsberg entra au commissariat. Son préféré des inspecteurs, pour le moment, c'était Adrien Danglard, un homme pas bien beau, très bien habillé, le ventre et les fesses basses, qui buvait pas mal, et qui ne paraissait plus très fiable après quatre heures de l'après-midi, parfois avant. Mais il était réel, très réel, Adamsberg n'avait pas encore trouvé d'autre terme pour le définir. Danglard lui avait préparé sur la table un résumé sur le fichier des clients du marchand de tissus. 

- Danglard, je voudrais voir le beau-fils aujoud'hui, le jeune homme, Patrice Vernoux. 

- Encore, monsieur le commissaire ? Mais qu'est-ce que vous lui voulez à ce pauvre type ? 

- Pourquoi dites-vous "pauvre type" ? 

- Il est timide, il se recoiffe sans arrêt, il est conciliant, il fait des efforts pour vous faire plaisir, et quand il vous attend, assis dans le couloir, sans savoir ce que vous allez encore lui demander, il a l'air si déconcerté  qu'il fait un peu de peine. Alors je dis : "pauvre type". 

-Vous n'avez pas remarqué autre chose, Danglard ? 

Danglard secoua la tête. 

- Je ne vous ai pas raconté l'histoire du grand chien baveux ? demanda Adamsberg. 

- Non. Je dois dire que non. 

- Après, vous me jugerez le plus sale flic de la terre. Il faut vous asseoir un moment, je parle lentement, j'ai beaucoup de mal à me résumer, parfois même je m'égare. Je suis un homme vague, Danglard. Jétais parti tôt du village pour passer la journée dans la montagne, j'avais onze ans. Je n'aime pas les chiens, je ne les aimait pas non plus quand j'étais petit. Celui-là, un gros chien baveux me regardait au milieu du chantier. Il bava sur mes pieds, il bava sur mes mains, c'était un gros chien crétin et sympathique. Je lui ai dit : "Écoute, gros chien, je vais loin, j'essaie de me perdre et de me retrouver ensuite, tu peux venir avec moi, mais bon Dieu arrête de me baver dessus, ça me dégoûte". Le gros chien a pigé et il m'a suivi. 

Adamsberg s'interrompit, alluma une cigarette et prit un petit bout de papier dans sa poche. Il croisa une jambe, s'appuya dessus pour griffonner un dessin et continua, après un coup d'oeil à son collègue. 

- Ça m'est égal de vous ennuyer, Danglard, je veux vous raconter l'histoire du gros chien. Le gros chien et moi on avait discuté tout le long du chemin, des étoiles de la petite ourse et des os de veaux, et on s'est arrêtés à un bergerie abandonnée. Là, il y avait six mômes d'un autre village, je les connaissais bien.  On s'était souvent battus. Ils ont dit : "C'est ton clebs ?" "Pour aujourd'hui, ai-je répondu. Le plus petit a saisi le gros chien par ses longs poils, le gros chien qui était peureux et mou comme un tapis, et il l'a tiré jusqu'au bord de la falaise. "Je n'aime pas ton clebs, il a dit, il est con, ton clebs". Le gros chien gémissait sans réagir, c'est vrai qu'il était con. Le petit môme lui a foutu un coup de pied au cul, et le chien est tombé dans le vide. J'ai posé mon sac par terre, lentement. Je fais toujours tout lentement. Je suis un homme lent, Danglard. 

"Oui, eut envie de dire Danglard, je m'en suis aperçu". Un homme vague, un homme lent. Mais il ne pouvait pas le dire, Admsberg était son nouveau supérieur. Et puis il le respectait. Danglard avait eu vent comme tout le monde des principales enquêtes d'Adamsberg, et comme tout le monde il avait salué le génie du dénouement, chose qui lui paraissait aujourd'hui incompatible avec ce qu'il découvrait de l'homme depuis son arrivée. À présent qu'il le voyait, il était surpris, mais pas seulement par cette lenteur des gestes et de la parole. Il avait d'abord été déçu par ce corps petit, mince et solide, mais pas impressionnant, par la négligence générale du personnage, qui ne s'était même pas présenté à eux à l'heure convenue, et qui avait noué une cravate sur une chemise déformée, fourrée n'importe comment dans son pantalon. Et puis la séduction avait monté, comme un niveau d'eau. Ça avait commencé par la voix d'Adamsberg. Danglard aimait l'entendre, ça le calmait, ça l'endormait presque. "Ça fait comme une caresse" avait dit Florence, mais bon, Florence c'était une fille, elle était seule responsable des mots qu'elle choisissait. Castreau avait gueulé : "Ne dis pas qu'il est beau." Florence avait eu l'air perplexe. "Attends, il faut que je réflechisse", avait-elle répondu. Florence disait toujours ça. C'était une fille scrupuleuse, elle réfléchissait beaucoup avant de parler. Pas sûre d'elle, elle avait ânonné : "Non, mais ça a à voir avec la grâce, ou quelque chose comme ça. Je réfléchirai". Comme des collègues avaient ri, alors que Florence avait l'air si studieuse, Danglard avait dit : "Florence a raison, c'est évident". Margellon, un jeune agent, avait saisi l'occasion pour le traiter de pédé. Jamais Margellon n'avait dit quelque chose d'intelligent, jamais. Et Danglard avait besoin d'intelligence comme de boire. Il avait haussé les épaules, en pensant fugitivement qu'il regrettait d'ailleurs que Margellon n'ait pas raison, parce qu'il avait pas mal de déboires avec les femmes et qu'ils pensaient que les hommes seraient moins regardants; qu'il entendait dire que les hommes étaient des salauds, que dès qu'ils avaient couché avec une femme ils la jaugeaient, mais les femmes c'était pire, elles refusaient de coucher avec vous si ça ne leur convenait pas exactement. Comme ça, non seulement on est évalué et pesé, mais en plus on n'a couché avec personne. C'est triste. C'est dur, les filles. Et Danglard, il en connaissait des filles qui l'avaient mesuré et qui n'avaient pas voulu de lui. À en chialer des fois. 

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